Fruits et racines
L’année nouvelle commence sur de bonnes bases. L’Aire a toujours eu une double ambition, celle de servir le patrimoine en publiant des ouvrages historiques d’une certaine valeur : nous pensons à la troisième réimpression du Peuple du Valais de Louis Courthion, admirablement préfacé par André Guex qui d’ailleurs a un profil assez proche de l’auteur valaisan aux talents multiples : journaliste, conteur, anthropologue et historien.
En littérature, quelques grands ténors des littératures helvétiques sont réédités en début d’année dans la collection L’Aire bleue : Le pauvre homme du Toggenbourg d’Uli Bräker, Une jeunesse en Engadine de Cla Biert et Le Chêne brûlé de Gaston Cherpillod. Trois textes d’inspiration autobiographique, très représentatifs de leur culture. Le Tessin est également présent dans la collection avec plusieurs ouvrages dont Le Fond du sac, Chasse aux sorcières et Requiem pour tante Domenica, tous écrits par Plinio Martini. Cette collection de prestige réunit tous les grands noms de la littérature romande : Alice Rivaz, Corinna Bille, Monique Saint-Hélier, Maurice Chappaz, Jacques Chessex et C. F. Ramuz, dont nous publions cette année un choix de citations sous le titre Le Temps humain. Tous ces noms rapidement évoqués constituent les racines, le tronc symbolique de notre activité éditoriale.
En dépit de l’actualité tragique qui sévit en Europe orientale, le printemps de L’Aire sera poétique. En effet, la collection Métaphores est dirigée actuellement par la jeune et brillante Sandra Wilhalm qui fait un travail extraordinaire sur les textes. Seront publiés Visages de Jacques Roman, Prismes de Laurent Galley, Bleu fenêtre d’André Petitat et Granulométries de l’Éphémère d’Olivier Pillevuit. D’autres textes à caractère poétique reverdiront le catalogue de l’Aire grâce à Danielle Risse, Béatrice Monnard et Françoise Matthey, qui sans cesse renouvellent et enrichissent notre littérature.
Un livre cathédrale pour compléter le tableau
Dans le titre de cette chronique de saison et de circonstance, nous signalions le mot «fruit». En effet, depuis plus de quatre décennies, L’Aire tente de promouvoir de nouveaux noms d’écrivains avec un certain succès : nous pensons à Rose-Marie Pagnard, Marie-Claire Dewarrat, Daniel Maggetti, Adrien Pasquali, Pascale Kramer, Jacques-Etienne Bovard, Juan Martinez, Alain Bagnoud, Julien Burri, Anne Bottani, Raymond Delley, Cédric Pignat, Christophe Gaillard, Corinne Desarzens, Isabel Garcia Gomez. Sans oublier les deux derniers lauréats du Prix Georges-Nicole, Matthieu Ruf et Alice Bottarelli qui avec Les Quatre Soeurs Berger ensorcèle ses lectrices et lecteurs. En principe nous sommes plus doués pour défendre nos mérites, mais nous aimerions être contagieux pour promouvoir le roman de formation de 1040 pages de Romain Debluë intitulé La Chasse au cerf. Certes le titre est trompeur et allusif. Avec ce livre d’une rare intensité, l’auteur évoque son parcours : enfance montreusienne, études à l’Université de Lausanne, thèse de doctorat en philosophie à la Sorbonne, mais ses déambulations sont bien secondaires à côté de son écriture flamboyante. Son style est original comme sa pensée peut l’être, pourtant on sent que de grandes ombres inspirent son œuvre : Léon Bloy, Paul Claudel, Georges Bernanos et François Mauriac. Par magie, il parvient à réactualiser ses maîtres qui ont marqué en profondeur la littérature du siècle passé. Si le pape du surréalisme clamait que la beauté serait convulsive ou ne serait pas, pour Romain Debluë la beauté est d’abord spirituelle, ce qui ne l’empêche pas d’être aussi convulsive et disruptive.
Un auteur est né. Chantons !
Michel Moret